samedi 11 août 2012

R. T. n° 1 - NOTE - La Couronne de fiançaille ( A. Penot )








IBN ATA ALLÂH AL-ISKANDARÎ
LA COURONNE DE FIANCAILLE*
Traduction : Abdallâh Penot
 Editions ALIF, 2010 )




« La meilleure des conditions serait que ta vie s'écoule avec l'Au-delà pour seul but, tandis que toi, tu laisses échapper l'Au-delà pour gagner ce monde. Qu'y a-t-il de plus laid que la peur pour un soldat ? Qu’une faute linguistique pour un grammairien ? Que la recherche de ce monde pour un ascète ? L'homme n'est pas celui qui te plonge dans l'embarras avec ses expressions, l'homme est celui qui te plonge dans l'embarras avec un simple regard. On rapporte que le Shaykh Abû al-'Abbas al-Mursî - Que dieu soit satisfait de lui - a dit : “ La tortue élève ses petits par le regard. De la même façon, le maître éduque son disciple par le regard. La tortue pond ses œufs sur la terre ferme et les place en direction de la rivière, puis elle les regarde et Dieu les fait grossir et éclore et ce par le regard que porte sur eux la tortue ” ».
Cet extrait de l'enseignement d'Ahmad Ibn ‘Atâ’Allâh montre clairement la transmission spirituelle par la présence du maître éveillé. L'ouverture souhaitée de la part du disciple est l'ardente réceptivité, le désintéressement et une absence complète de toute idée survalorisante de soi-même. La rupture avec l'état de conscience ordinaire est exprimée sans ambiguïté.
Ainsi, dans une Upanisad, il est posé la question suivante: « Que faut-il connaître afin que tout soit connu ? » ; le regard dont parle ce maître Shâdhilî, assurément, y répond en exprimant le « moyen » le plus direct d'obtenir cette connaissance et de réaliser l'identité avec l'essence de l'enseignement du Taçawwuf. Cela s'explique du fait que la vue (et l'ouïe, car il n'y a pas de regard sans une écoute parfaite), sont les sens qui sont en correspondance avec les conditions spatiales et temporelles, de telle sorte que ramenés à leur principe commun par l'activité spirituelle du regard, la connaissance de l’ensemble de la manifestation devient accessible. Sans doute faut-il avoir vécu la présence d'un être véritablement libéré pour bien comprendre cela, il n'en demeure pas moins que la réalisation ascendante et effective ne s'obtient ni par la volonté individuelle ni par l'effort nécessairement conditionné, et c'est bien cela qu’exprime le shaykh Al-Mursî dans cette évocation de la tortue.
L’ouvrage contient nombre de préceptes, de conseils, d’appels à la vigilance et à la purification de l’âme. Les enseignements très imagés donnés par Ibn ‘Atâ’Allâh concourent à édifier, par l’excellence de l’Islam, l’excellence du serviteur de Dieu. L’éducation du murid intervient pour purifier son cœur, le rendre digne de son but et fort dans ses actes. La réalisation évoquée ici est complète : Ascendante, par la prise de conscience de la réalité divine et l’abandon des caractéristiques humaines ; descendante par l’éducation (adab) et l’acquisition des sciences qui, au regard de Dieu, justifieront sa présence et ses actions dans le monde. Le disciple doit revêtir pour cela les attributs seigneuriaux et disparaître en tant qu’individualité restreinte et séparée. Ibn ‘Atâ’Allâh considère aussi les défauts humains, les spécificités de la volonté individuelle qui ne se manifestent plus chez le soufi parfaitement accompli.
La traduction de M. Abdallâh Penot est fluide et agréable. On pourrait cependant regretter qu’il y ait si peu de référence aux termes arabes, ce qui éviterait un certain flottement quant à la rigueur initiatique du grand maître Shadilî. De même, aucune indication n’est donné sur le texte original et oublié son titre en arabe. Les nombreuses productions de M. A. Penot expliquent peut-être sa volonté de ne jamais surcharger ses traductions pour aller directement au fil du texte original.


*Compte rendu paru dans le n°123 de la revue Vers La Tradition.