LA COURONNE DE FIANCAILLE*
Traduction : Abdallâh
Penot
Editions ALIF, 2010 )
« La
meilleure des conditions serait que ta vie s'écoule avec l'Au-delà pour seul
but, tandis que toi, tu laisses échapper l'Au-delà pour gagner ce monde. Qu'y
a-t-il de plus laid que la peur pour un soldat ? Qu’une faute linguistique pour
un grammairien ? Que la recherche de ce monde pour un ascète ? L'homme n'est pas celui qui te plonge dans l'embarras avec ses
expressions, l'homme est celui qui te plonge dans l'embarras avec un simple
regard. On rapporte que le Shaykh Abû al-'Abbas al-Mursî - Que dieu soit
satisfait de lui - a dit : “ La tortue élève ses petits par le regard. De la
même façon, le maître éduque son disciple par le regard. La tortue pond ses
œufs sur la terre ferme et les place en direction de la rivière, puis elle les
regarde et Dieu les fait grossir et éclore et ce par le regard que porte sur
eux la tortue ” ».
Cet extrait de
l'enseignement d'Ahmad Ibn ‘Atâ’Allâh montre clairement la transmission
spirituelle par la présence du maître éveillé. L'ouverture souhaitée de la part
du disciple est l'ardente réceptivité, le désintéressement et une absence
complète de toute idée survalorisante de soi-même. La rupture avec l'état de
conscience ordinaire est exprimée sans ambiguïté.
Ainsi, dans
une Upanisad, il est posé la question
suivante: « Que faut-il connaître afin
que tout soit connu ? » ; le regard dont parle ce maître Shâdhilî, assurément,
y répond en exprimant le « moyen » le plus direct d'obtenir cette connaissance
et de réaliser l'identité avec l'essence de l'enseignement du Taçawwuf.
Cela s'explique du fait que la vue (et l'ouïe, car il n'y a pas de regard sans
une écoute parfaite), sont les sens qui sont en correspondance avec les
conditions spatiales et temporelles, de telle sorte que ramenés à leur principe
commun par l'activité spirituelle du regard, la connaissance de l’ensemble de
la manifestation devient accessible. Sans doute faut-il avoir vécu la présence
d'un être véritablement libéré pour bien comprendre cela, il n'en demeure pas
moins que la réalisation ascendante et effective ne s'obtient ni par la volonté
individuelle ni par l'effort nécessairement conditionné, et c'est bien cela
qu’exprime le shaykh Al-Mursî dans cette évocation de la tortue.
L’ouvrage
contient nombre de préceptes, de conseils, d’appels à la vigilance et à la
purification de l’âme. Les enseignements très imagés donnés par Ibn ‘Atâ’Allâh
concourent à édifier, par l’excellence de l’Islam, l’excellence du serviteur de
Dieu. L’éducation du murid intervient pour purifier son cœur, le rendre
digne de son but et fort dans ses actes. La réalisation évoquée ici est
complète : Ascendante, par la prise de conscience de la réalité divine et
l’abandon des caractéristiques humaines ; descendante par l’éducation (adab)
et l’acquisition des sciences qui, au regard de Dieu, justifieront sa présence
et ses actions dans le monde. Le disciple doit revêtir pour cela les attributs
seigneuriaux et disparaître en tant qu’individualité restreinte et séparée. Ibn
‘Atâ’Allâh considère aussi les défauts humains, les spécificités de la volonté
individuelle qui ne se manifestent plus chez le soufi parfaitement accompli.
La traduction
de M. Abdallâh Penot est fluide et agréable. On pourrait cependant regretter
qu’il y ait si peu de référence aux termes arabes, ce qui éviterait un certain
flottement quant à la rigueur initiatique du grand maître Shadilî. De même,
aucune indication n’est donné sur le texte original et oublié son titre en
arabe. Les nombreuses productions de M. A. Penot expliquent peut-être sa
volonté de ne jamais surcharger ses traductions pour aller directement au fil
du texte original.
*Compte rendu paru dans le n°123 de la revue Vers La Tradition.
*Compte rendu paru dans le n°123 de la revue Vers La Tradition.